En 2015, les Forges de Cran (alors détenues par un fonds américain), déjà en difficulté financière sont reprises en SCOP (société coopérative) par les salariés, avec la bénédiction des élus locaux. La SCOP Alpine Aluminium est créée.
En 2019, la SCOP est mise en redressement judiciaire et finalement vendue à SAMFY INVEST dont le patron, M. Supplisson, est également président LR de l’agglomération de Montargis.
De nouveau en difficulté, Alpine Aluminium attend désormais le jugement du tribunal en vue de son éventuelle liquidation judiciaire. Le site semble déjà être pressenti pour accueillir de nouvelles activités, dont un tiers-lieux.
Voilà pour le récit officiel.
J’ai vécu cette histoire un peu différemment… voici mon récit. Tant pis s’il ne cadre pas avec la version officielle.
D’abord, je me souviens fin 2014 ou début 2015 d’une présentation du projet de SCOP dans une commission de l’agglo. On avait les chiffres. Tout le monde (les élus de Cran-Gevrier en premier) vantait le projet comme idéal. En sauvegardant les emplois, il était quasi-miraculeux. J’étais alors intervenu pour largement nuancer et m’inquiéter. Ayant quelques années d’études d’économie et d’expertise derrière moi, j’étais circonspect. De mémoire, il fallait investir (au bas mot) 15 millions d'euros pour remettre à niveau l’outil de production, ce que les salariés et leurs créanciers ne faisaient pas. La survie du projet était donc très incertaine, mais chut… il ne fallait pas écorner ce projet de SCOP (pour la gauche cela reste toujours un mot magique). Pourtant, j’avais dit que de mon point de vue, ce projet n’était pas viable et qu’on “jouait” avec l’espoir des salariés. Mais vu que j’étais dans la minorité…
Malheureusement, 4 ans après et je le regrette, les faits m’ont donné en grande partie raison. Car même si des circonstances dramatiques ont poussé la SCOP sur la mauvaise pente, ce sont bien ses résultats qui l’ont amené au tribunal et à une reprise.
On est en 2019, à la veille d’élections municipales et il faut trouver une solution rapidement. Un jour, on voit débarquer le président de l’agglomération de Montargis, visiblement connu de plusieurs responsables locaux (Montargis est membre de l’ADCF) pour reprendre le site et promettre des investissements. J-L Rigaut, à quelques mois de l’élection, finit par proposer de faire racheter le terrain par l’agglo pour le louer ensuite. Mais le repreneur, qui avait bien compris que ce n’était pas l’outil industriel qui était l’enjeu du site, a fait une offre de dupe. De nouveau, satisfecit général chez les élus : le site est repris, l’emploi en partie sauvé !
En 2022, le site, de nouveau en difficulté, attend le sort qui lui sera réservé par le tribunal. Vraisemblablement une liquidation. Une partie du site semble déjà reconvertie en un tiers-lieu dont jamais personne n’a entendu parler ici, sous le nom du collectif “La Ronde”. Ce collectif avait été auditionné par la commission “économie” de la ville pour une implantation initiale dans l’ex-magasin Franprix dans le quartier du Vallon à Cran-Gevrier. J’avais alors dit toute mon opposition à ce projet mal ficelé, irréaliste, misant uniquement sur l’argent public. En espérant que le nouveau projet aux Forges de Cran soit un peu plus solide !
Le sentiment qui m’anime sur ce dossier est celui d’un marché de dupes, organisé depuis des années sur le dos des salariés, avec des politiques locaux en quête de sensationnalisme journalistique. Tout le monde a tenté de poser sur les photos pour tirer la couverture à soi. Chacun se renvoie aujourd’hui les erreurs à la figure… oubliant de reconnaître ses propres errements.
Finalement, j’en garde un sentiment de dégoût profond. Dégoût des pratiques de certains personnages économiques. Dégoût de l’opportunisme politique. Dégoût aussi des commentateurs qui n’ont jamais cherché à creuser un peu et s’en sont toujours tenus au discours officiel. Dégoût enfin d’anciens et nouveaux élus qui jouent encore une danse macabre autour des restes de cet ex-fleuron de notre industrie locale.
Alors l’avenir ? Il m’apparaît nécessaire que la puissance publique se rende rapidement maîtresse du foncier et qu’une réflexion ouverte et transparente soit menée sur l’avenir de ce site. Je n’ai pas à commenter le projet de la Ronde, mais nos rencontres passées me laissent dubitatif. La proximité de certains de ses membres avec la majorité actuelle, si elle n’est pas en soi un frein, amène à une vigilance encore plus grande de notre part.
Le passé est le passé mais il me laisse goût amer. Reste l’avenir : pourvu qu’il soit plus réjouissant !
Denis Duperthuy
Vice-président du Grand Annecy
Membre de la commission économie à la Ville d’Annecy