Le but de cet article n’est pas d’invectiver la politique en matière de transports publics sur le Grand Annecy. La démarche se veut didactique et la réflexion est transposable, malheureusement, à bien d’autres agglomérations françaises. N’hésitez-pas à commenter et à donner vos avis dans les commentaires : l’idée étant de faire progresser la réflexion sur ce sujet de la rationalisation des réseaux de transports collectifs
Le 29 avril 2024, le réseau de bus du Grand Annecy a vu la mise en œuvre d’une refonte importante incluant l’ajout de nouvelles lignes tangentielles, d’un transport à la demande (TàD) pour les secteurs éloignés du cœur d’agglomération et les prémices d’une hiérarchisation des lignes avec l’abolition des lignes à lettre [I, J, K, L] au profit des lignes Rythmo les dimanches et jours fériés. Après moins d’un an de service, l’offre va déjà diminuer prochainement par faute de moyens.Le 19 avril 2025, les lignes principales de la Sibra fonctionnent à nouveau en horaire différencié lors des vacances scolaires, la fréquence des dimanches et jours fériés est divisée par 2 et les Rythmo s’arrêtent désormais à minuit le soir. Le transport à la demande a, quant à lui, cessé de fonctionner en soirée dès 20h depuis février.
Si l’on peut comprendre le souhait de maîtriser les dépenses de l’agglomération, la baisse de l’offre était-elle le seul moyen pour réduire les dépenses liées aux transports en commun ?
De nombreuses collectivités françaises créent de nouvelles lignes de transports par-ci par-là sans que la question du coût global d’exploitation de ces services ne soit réellement mise en débat. La rationalisation des dépenses de fonctionnement passe par l’application de grands principes d’organisation et de gestion (hiérarchisation et simplification) :
La disparité de l’offre entre ces secteurs ayant des caractéristiques similaires est injuste et entraîne des sous-dessertes ou des sur-dessertes de certaines zones de l’agglomération.
Le temps de parcours doit être faible pour inciter les usagers à effectivement se reporter sur les axes forts
⇒ Les arrêts des lignes principales doivent être (beaucoup) + espacés pour diminuer leur temps de parcours.
Situation actuelle :
Après avoir déjà pris un bus pour se rabattre sur l’un des pôles d’échanges et patienter pour récupérer une ligne principale ..
.. est-ce raisonnable d’avoir 12 temps d’arrêts
entre Meythet-le-Rabelais et la gare d’Annecy ?
... est-ce raisonnable d’avoir 17 temps d’arrêts
entre Seynod-Périaz et la gare d’Annecy ?
... est-ce raisonnable d’avoir 16 temps d’arrêts
entre Pringy-Gare et la gare d’Annecy ?
... est-ce raisonnable d’avoir 15 temps d’arrêts
entre Ponchy et la gare d’Annecy ?
Il faut compter une perte d’environ 45 secondes (freinage, accostage, temps d’échange voyageur, accélération) par arrêt supplémentaire.
Le rapprochement élevé des arrêts freine le rabattement des usagers sur les lignes structurantes car elles s’avèrent trop lentes.
Le temps de parcours doit être sensiblement le même à toute heure de la journée pour renforcer la confiance des usagers à se reporter sur les axes forts
⇒ Les arrêts des lignes principales doivent être (beaucoup) + espacées pour égaliser son temps de parcours.
Situation actuelle :
En heure creuse => trajet rapide :
en raison de la faible affluence, le bus ne s’arrête qu’à un seul arrêt sur 3
En heure de pointe => trajet lent :
en raison de la forte affluence, le bus s’arrête à l’ensemble des arrêts
Cette disparité entre heure creuse et heure de pointe est problématique car elle rend le temps de parcours variable en fonction de l’heure de la journée et ne favorise pas la volonté des usagers de se rabattre sur cette ligne structurante.
De plus, l’heure de pointe correspond déjà avec le moment où le réseau mobilise le plus grand nombre de véhicules et de conducteurs. Avec des arrêts rapprochés, ce phénomène s’accentue et entraîne une hausse trop importante du coût de fonctionnement global du réseau de bus.
Une ligne au tracé sinueux diminue l’attractivité d’un réseau tout en augmentant son coût d’exploitation.
En effet, une ligne au tracé rectiligne permet, en même temps, de desservir les usagers à proximité de son tracé mais également d’attirer les usagers + éloignés, quelque soit leur moyen de rabattement (marche, vélo, voiture individuelle, TàD, etc) grâce son attractivité (efficacité, fiabilité, confort).
La qualité d’emplacement d’un arrêt de transport en commun s’évalue au regard de sa force d’attraction. Un arrêt avec des aménagements qualitatifs et une offre de transport intéressante va avoir une force élevée, autrement dit :
Voir tableaux et comparaison cartographique ci-après
La démultiplication du nombre de ligne sur un même corridor urbanisé (exemple de l’axe Annecy-Seynod) entraîne une trop importante diffusion des moyens qui, s’ils étaient alloués à un plus faible nombre de ligne, améliorerait la qualité du service apporté (et donc l’efficacité des dépenses liés aux transports publics)
Voir tableaux et comparaison cartographique ci-après
Extrait du guide des aménagements en faveur des transports en commun (Île-de-France Mobilités)
Si on applique ces règles au "corridor" Annecy (Gare SNCF) => Seynod (Rond-point de la Mouette), on obtiendrait la projection suivante :
Situation actuelle
Situation rationnelle
Attention, souvent confondus, le cadencement et la fréquence possèdent des définitions différentes en ingénierie des transports !
La fréquence de passage d’une ligne reflète uniquement le temps de passage entre deux véhicules
⇒ En France, la fréquence des lignes est parfois aléatoire
Exemple d’une grille horaire peu lisible et trop complexe :
Une ligne « forte » avec une fréquence de 11 min :
17h02 – 17h13 – 17h24 – 17h35 – 17h46 – 17h57 – 18h08 – etc
Une ligne « moyenne » avec une fréquence de 18 min :
17h10 – 17h28 – 17h46 – 18h04 – etc
⇒ Les horaires sont impossibles à connaître par cœur
⇒ Les temps de correspondances sont toujours aléatoires
Le cadencement défini le fait pour une ligne de transport d’avoir une fréquence de passage qui soit un multiple de 60 minutes
⇒ Une répétition des passages à la même minute de chaque heure
Exemple d’une grille horaire compréhensible par tous :
Une ligne « forte » avec une fréquence de 10 min
17h04 – 17h14 – 17h24 – 17h34 – 17h44 – 17h54 – 18h04 – etc
Une ligne « moyenne » avec une fréquence de 20 min
17h09 – 17h29 – 17h49 – 18h09 – etc
⇒ Les horaires sont faciles à retenir
⇒ Les correspondances sont identiques et optimisées
Avec des frais de fonctionnement constants, il est parfois préférable de diminuer la fréquence pour rendre un service compréhensible et permettre aux correspondances d’être régulière.
L’ajustement du réseau sur les périodes moins fréquentés (en soirée et le dimanche) doit se faire sur les horaires et non pas sur les tracés afin que la cartographie du réseau reste facilement compréhensible par tous.
Les budgets portant sur des questions de mobilité au sein de la région AURA, du département de la Haute-Savoie, du Grand Annecy et de la commune nouvelle d’Annecy représentent une part non négligeable des investissements et des fonctionnements de ces collectivités.
Les éléments techniques soulevés peuvent apparaître comme des points de détails mais les montants impliqués sont importants. Le manque de rationalité dans la politique actuelle des mobilités entraîne des dépenses journalières qui peuvent se compter en dizaine de milliers d’euros… et donc des surplus de dépenses annuelles qui se chiffrent en millions d’euros.
D’un point de vue social, la rationalisation d’un réseau pose le problème du rôle d’un service public de transports collectif. Pourquoi mettons-nous en place de telles dépenses ? Lors de ces dernières décennies, les réseaux de bus répondaient avant toute chose aux besoins des usagers dits captifs (ceux qui ne peuvent se déplacer autrement : collégiens/lycéens, retraités). Au contraire, la densité des agglomérations françaises justifie que nous réfléchissions à des moyens de mutualiser les déplacements pour tous (dont les actifs !) qui se concentrent souvent sur quelques grands axes facilement identifiables.
Dans certains cas, les gains opérés par la rationalisation d’un réseau peuvent être redirigés vers un usage plus adéquat et plus adapté. En effet, un transport à la demande répondant aux besoins de desserte en zone rurale, de service pour les personnes âgées et pour les personnes à mobilité réduite (PMR) peut être très bénéfique pour une collectivité locale avec un coût de production faible par rapport au service rendu (principe de non-exclusion).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Horaire_cadenc%C3%A9
Wikipédia - Explication du principe de cadencement et des avantages de sa mise en application
IDFM - Guide des aménagements en faveur des transports en commun routiers réguliers
https://cerema.app.box.com/file/1529235387738
Cerema - Doubler l’offre TER à coût constant
NB : les diapositives n°7 à n°10 portant sur le cadencement peuvent également s’appliquer aux cas des transports collectifs routiers