L'été 2025 confirme une tendance désormais bien ancrée : Annecy figure parmi les destinations préférées des Français pour les vacances estivales, aux côtés de l'Île de Ré ou de Bonifacio. Ce succès est à la fois une chance et une alerte. Car si le tourisme est un moteur économique non négligeable, il questionne aussi le modèle de ville que nous construisons. Le dernier sondage Elabe pour La Tribune Dimanche montre qu'Annecy est particulièrement prisée par les 18-34 ans, une génération qui aspire aussi à vivre dans des villes durables.
Dans ce contexte, il est essentiel de rappeler que la prospérité d'Annecy repose aussi sur son tissu artisanal, industriel et son agriculture. C'est en soutenant ces activités productives, ancrées dans le territoire, que nous pourrons garantir notre souveraineté économique et sociale et relativiser, et rééquilibrer dans les discours et dans les faits notre dépendance au tourisme.
Ces dernières décennies, rien n'a vraiment été fait pour anticiper et encadrer l'afflux touristique de 3 millions de visiteurs annuels : ni régulation du stationnement, ni limitation des flux, ni planification à la hauteur de l'enjeu. La politique de la Ville et de l'Agglomération d'Annecy est restée centrée sur la promotion et l'accueil sans jamais poser la question de la cohabitation avec la vie locale existante.
Le cas des voitures en centre-ville est emblématique. Chaque été, la vieille ville est littéralement prise d'assaut par des visiteurs motorisés pour la journée. Cette situation crée des embouteillages, une pollution accrue et une saturation des places de stationnement. Alors que certaines villes italiennes, comme Florence ou Sienne, ont mis en place depuis longtemps des zones à accès réservé (ZTL), obligeant les touristes à se garer en périphérie et à emprunter les transports en commun, Annecy n'a pas franchi ce cap.
Plus globalement, la spécialisation croissante d'Annecy dans le tourisme pose des questions structurelles. Que devient une ville où les logements sont achetés pour des locations de courte durée, où les commerces s'orientent vers la clientèle de passage, où les services publics doivent s'adapter à des pics de fréquentation ? Quel avenir pour les habitants qui veulent vivre, travailler, éduquer leurs enfants ici ? D'autant que les instruments financiers qui pourraient compenser les coûts de cette attractivité touristique, comme la taxe de séjour (désormais à son plafond) ou, à l'image des fonds frontaliers versés par Genève pour financer les services publics en France, restent très en deçà des besoins réels. Le modèle budgétaire de la ville ne tient pas ou très peu compte des externalités négatives d'un tel afflu touristique.
La force d’Annecy et son bassin de vie a toujours été une croissance sur trois piliers :
Force est de constater que le tissu industriel, s’il est toujours présent, doit faire l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics, en mettant en place les conditions pour que les entreprises restent, malgré un coût de la vie élevé, et donc une main d’œuvre chère, plus facilement susceptible d’aller chercher du travail en Suisse.
Le tissu agricole, s’il est largement préservé grâce à l’AOP reblochon, doit continuer d’améliorer sa diversification avec des modèles économiques viables, tout en préservant les agriculteurs des conflits d’usages avec les nombreuses autres activités périphériques.
Face à ces deux activités, le tourisme, s’il n’est pas régulé, s’il reste une chance par bien des aspects, peut rapidement devenir une menace. La manifestation de ces menaces est parfois déjà une réalité bien concrète, permettant de citer quelques exemples :
Il est temps d'ouvrir un débat apaisé, documenté, sur ce que nous voulons faire d'Annecy : une vitrine touristique ou une ville vivante et diversifiée ? L'enjeu n'est pas d'opposer habitants et visiteurs, mais de penser un modèle d'accueil régulier, soutenable et respectueux.
Limitation du trafic motorisé touristique en centre-ville, renforcement des mobilités collectives, adaptation des horaires et des services, encadrement du logement touristique. Il devra aussi, en plus de la construction des parkings relais en périphérie pour les visiteurs d’un jour, concrétiser des projets jusqu'ici sacrifiés par dogmatisme comme l'agrandissement du parking préfecture, qui serait spécifiquement destiné aux habitants. Ce dernier permettrait de retirer le stationnement de surface, inélégant et encombrant, pour libérer de l'espace public, accompagner la politique de piétonnisation, faire respirer la ville et tout en offrant le service public de stationnement minimum nécessaire aux habitants du centre-ville. Il ne s'agit pas de freiner arbitrairement l'accueil, mais de le rendre compatible avec un projet de ville plus juste et durable.
Annecy ne peut pas devenir une carte postale sans habitants, à la merci du "tourisme Instagram". Il est encore temps de choisir une autre voie. Le dogmatisme n'a pas sa place dans ce débat. Il convient de revenir au quotidien des habitants, de leur offrir des réponses concrètes aux problématiques qu'ils rencontrent, tout comme assurer la solidité de notre économie, dont la spécialisation en cours sera source de fragilité. La dérégulation et le manque d'anticipation des pouvoirs publics ne font qu'aggraver une situation déjà fragile. Une ville vivante se pense dans l'équilibre et le souci constant de l'intérêt général.